Les premiers effets pernicieux de la directive tabac : les débuts d’une longue liste

Par Le petit fumeur - 31/03/2017

Temps de lecture : 10 minutes.

Le 1er janvier 2017 la directive tabac est entrée en vigueur. Cette directive émanant de l’union européenne avait vocation à réguler et uniformiser le marché des produits du tabac. Les textes de loi ont à cette occasion décidé de considérer la cigarette électronique et tous ses accessoires (réservoirs, e-liquides) comme des « produits du tabac », la directive tabac a ainsi légiféré directement sur le cas de la vape. Pour le vapoteur lambda c’est déjà un principe difficile à concevoir. Nous pensions avoir rompu définitivement avec l’industrie du tabac en migrant vers la cigarette électronique et voilà qu’on décide à notre place de recoller l’étiquette « tabac » sur notre démarche. D’autre part, outre une simple considération d’ordre purement symbolique (qui a tout de même le mérite d’appuyer exactement là où ça fait mal), le texte de loi a effectivement provoqué des interférences majeures dans le marché de la cigarette électronique, et ce de façon parfois curieusement contraignante. Quant à la question de savoir s’il de nouvelles lois étaient vraiment nécessaires, beaucoup se sont demandé s’il ne suffisait pas simplement de faire appliquer un peu plus scrupuleusement celles déjà en vigueur. Néanmoins, les choses ont changé et a priori, le gouvernement actuel semble assez content de lui.
La France est désormais pionnière en Europe dans la lutte contre le tabac Marisol Touraine
 

Mise en application de la TPD

Ce qui a d’abord frappé tous les acteurs de la vape, c’est de constater l’avarice du texte en termes de détails. Pourquoi rester délibérément flou ? Précisément parce que l’Union Européenne n’a pas voulu trop s’impliquer. L’objet de cette directive n’était pas de spécifier comment le marché doit se comporter, mais d’inciter les pays membres à émettre des lois. Le changement majeur n’est pas alors la régulation du marché en elle-même, mais le fait que les ministères de la santé respectifs à chaque pays sont désormais en position de s’impliquer au plus près du marché en imposant des normes. Le contenu principal de la directive consiste ainsi à dire : «  dorénavant, le ministère de la santé doit être en mesure de spécifier ce qui est homologué et ce qui ne l’est pas ».   [caption id="attachment_459" align="aligncenter" width="500"]Le nouveau paquet neutre Si le paquet neutre a été l'aspect de la loi le plus médiatisé, les changements provoqués par cette dernière sont infiniment plus complexes.[/caption]   Or, sauf quelques mesures minimes, très peu de normes ont été émises jusqu’ici vis-à-vis de la vape. En conséquence de quoi, lorsque les professionnels entreprirent de se mettre aux normes, ce fut un grand moment de confusion : qu’est-ce qu’il faut faire précisément ? Sources d’informations multiples et parfois contradictoires, informations au compte-goutte et même parfois des contrôles surprise de la DGCCRF à une époque où elle n’avait pas encore autorité pour contrôler lesdites normes. Tous les ingrédients d’une année qui commence en beauté. Autre conséquence : il est bien trop tôt pour se dire que la TPD c’est du passé et que le marché peut reprendre son cours normal. Qu'il vienne demain à l’esprit d’un décideur plus influent qu’informé de décréter que les e-liquides devraient tous avoir un goût neutre et le marché devra s’exécuter sans ciller.  

Que dit la loi jusqu’ici ?

Nous passerons brièvement sur les changements principaux qui ont eu lieu et dont tout le monde a déjà au moins entendu parler de loin.

Les flacons d’eliquide ne doivent pas dépasser un volume de 10 ml si ces derniers contiennent de la nicotine. Résultat constaté : le nombre de flacons individuels vendus explose, le volume des emballages et des déchets est en hausse, les prix augmentent et des utilisateurs qui se retrouvent à manipuler des dizaines de petit flacons d’e-liquide hautement nicotiné pour pouvoir accomplir chez eux ce que le commerce n’a plus le droit de leur proposer : des bouteilles en grand conditionnement. Tout ça au nom de la santé. Sympa.   [caption id="attachment_447" align="aligncenter" width="500"]Les bouteilles en grand conditionnement disparaissent. Parce que la cigarette electronique ce n'était pas déjà assez compliqué, il a fallu changer le conditionnement des quelques dizaines de milliers de flacons disponibles. Les fabricants en furent ravis.[/caption]   Interdiction de faire de la publicité pour les produits du tabac et ses dérivés. (Donc cigarette électronique incluse). Là encore, une incompréhension formelle. On constate que politiquement la stratégie a évolué. Auparavant, les discours se cantonnaient à affirmer que la cigarette électronique n’est pas encore reconnue officiellement comme un outil de sevrage tabagique et ne peut alors pas être plébiscitée comme tel. Aujourd’hui on nous dit que finalement la cigarette électronique ne peut pas être plébiscitée tout court parce que c’est un produit du tabac, même sans en contenir.   [caption id="attachment_452" align="aligncenter" width="500"]Image de pub pour la ecigarette Dommage pour l'industrie du tabac qui comptait sur ses moyens astronomiques pour utiliser la pub comme palliatif à son retard sur ce marché.[/caption]   On réalise facilement que cette étiquette «produit assimilé au tabac » n’est ni plus, ni moins qu’une carte joker très avantageuse dans la mesure où elle épargne à nos dirigeants la peine de statuer une fois pour toutes sur ce qu’est effectivement la cigarette électronique et sa place dans la lutte contre le tabac. Au final, en se limitant à déclarer «ce n’est pas un outil de sevrage » et « c’est assimilé au tabac » on se rend compte que rien de concret n’a été défini et que c’est bien pratique pour faire passer des normes sans avoir à justifier quoique ce soit. Il ne reste qu’à déplorer la façon dont cette approche occulte délibérément la réalité des faits, à savoir les millions de vapoteurs qui ont arrêté la cigarette sans s’arracher les cheveux.  

Pourquoi interdire la publicité pour la cigarette électronique ?

Du point de vue du consommateur, interdire la publicité c’est chouette. Personne n’aime la publicité, c’est intrusif, ça véhicule des messages souvent préjudiciables et c’est surtout un concept subordonné à un paradigme de surconsommation de plus en plus problématique. Le hic, c’est que lorsque la directive tabac nous parle de publicité, elle ne comprend pas tout à fait ce terme comme nous l’avons fait à l’instant. Blogs, forums d’entraide, pages sur les réseaux sociaux -  ou pour le dire tout de suite franchement, tous les supports qui font que la vape est accessible aux non-initiés – c’est de la publicité aux yeux de la loi tabac. Encore une fois, le « flou contrôlé » du statut de la cigarette électronique permet de faire des raccourcis logiques très pratiques. Prenons un instant pour analyser les fondements logiques de cette interdiction. L’état craint que la cigarette électronique ne constitue une porte d’entrée pour les jeunes vers le tabagisme.

Cette idée est déjà problématique en soi parce que ce n’est tout simplement pas avéré. Les seules études disponibles sur le sujet s’efforcent de démontrer les mêmes banalités de rigueur à partir d’échantillons de population largement insuffisants pour constituer de véritables indicateurs. L’étude la plus souvent citée est celle des mystérieux « chercheurs canadiens » dont le nom, le protocole et les conclusions exactes demeurent introuvables malgré nos efforts de recherche. Notez que cette étude se nuance elle-même en avouant finalement que 70% des jeunes interrogés étaient déjà fumeurs de cigarettes. C’est crédible, légiférons.

D’autre part, on se rappellera surtout qu’il existe une loi bien antérieure à la TPD qui interdit la vente de cigarette électronique aux mineurs. Par conséquent, en affirmant que la publicité au sens large du terme va inciter les mineurs à trouver que la cigarette électronique c’est fun et les transformer miraculeusement en fumeurs, on admet par la même occasion que la loi qui leur en interdit la vente ne sert à rien, puisqu’elle était déjà censée répondre à ce problème. Toujours est-il que si les lois déjà en vigueur ne fonctionnent pas, on est en droit de se demander si c’est une solution viable que de chercher à élaborer un ensemble de normes basées sur une législation inefficace ?   [caption id="attachment_426" align="aligncenter" width="360"]Panneau classique d'interdiction de vente d'alcool aux mineurs Les petits malins ont déjà fait remarquer que dans ces circonstances, l’existence de publicités pour l’alcool devrait alors de facto signifier que l’alcool est tacitement accessible pour les jeunes, ce qui serait amusant si ce n’était pas déjà effectivement le cas.[/caption]   Enfin, essayons de lire un peu entre les lignes. L’argument de la porte d’entrée pour les jeunes se résume très bien en une phrase : L’Europe a peur que la cigarette électronique tombe dans les mauvaises mains. Encore la même problématique du flou : qu’est-ce que c’est alors pour nos dirigeants que de bonnes mains ? La réponse se trouve facilement dans la solution choisie pour répondre à cette pseudo-inquiétude : c’est personne ! La cigarette électronique, on interdit tout simplement d’en parler et s’il y a possibilité que les jeunes s’y mettent, autant interdire aussi aux adultes d’échanger sur le sujet et tout le monde sera plus tranquille. Tout est sous contrôle. Concrètement, nous sommes loin d’une démarche de dépollution publicitaire. Cet aspect particulier de la loi va jusqu’à contraindre des plateformes d’échanges libres et non commerciales pour endiguer une inquiétude dont le fondement reste encore à démontrer. De notre expérience, nous sommes convaincus que les contre-exemples qui surgissent de façon extrêmement épisodiques sont d’abord symptomatiques d’un manque de volonté de la part du gouvernement de faire appliquer les lois déjà existantes, et ne constituent en rien un motif suffisant pour entraver l’entraide et l’échange entre passionnés sur quelque plateforme que ce soit.   Vous remarquerez que cette section n’a pas répondu à la question initiale, « pourquoi interdire la publicité en faveur de la cigarette électronique ». Nous nous sommes ici contentés de mettre en lumière ce qui n’allait pas de soi dans l’argumentaire qui accompagne cette loi. Pour en comprendre les véritables motifs il sera naturellement bien plus pertinent de se demander à qui profite l’interdiction de faire de la publicité pour la cigarette électronique ?  

Au profit de qui interdire la publicité ?

Attention : la section qui va suivre est le fruit d’une réflexion basée sur peu d’éléments. Compte tenu du caractère très récent de la directive Tabac, il est encore bien trop tôt pour avoir une vue d’ensemble de ses conséquences et de sa complexité. Faites preuve d’esprit critique et ne considérez pas les idées qui suivent comme des vérités absolues, mais plutôt comme des pistes de réflexion vis-à-vis de sujets qui nécessiteront éventuellement une certaine vigilance à l’avenir.

  Nous avons vu que la loi interdit toute forme de publicité en faveur de la cigarette électronique. C’est-à-dire que personne n’est supposé faire publiquement la promotion de la e-cigarette. Néanmoins à peine quatre mois plus tard on remarque que des acteurs restés dans l’ombre jusqu’à présent font déjà des tentatives pour profiter de cette nouvelle disposition législative. Le 30 Mars 2017, la société Nicorette a ainsi lancé une campagne Adwords pour tâter le terrain.

Pour les profanes, une campagne Adwords ce n’est ni plus ni moins que la forme la plus avancée de publicité qui soit. Elle emploie les méthodes informatiques de collecte et d’échange de données les plus récentes. Le principe est de verser de l’argent au moteur de recherche Google pour obtenir ce qu’on appelle des liens sponsorisés. Ces liens sponsorisés vont assurer une visibilité maximale à une société en garantissant que le moteur de recherche proposera en priorité un ou plusieurs liens vers son site web lorsque les usagers du net vont utiliser des mots clés spécifiques dans leurs recherches. Devinez quels mots clés la société Nicorette a décidé d’acheter ? Bingo : «Cigarette electronique».

  [caption id="attachment_454" align="aligncenter" width="850"] La mention "annonce" indique qu'il s'agit d'un lien sponsorisé. C'est-à-dire qu'il est affiché ici parce que de l'argent a été versé au moteur de recherche. Cette pratique est bien sûr formellement interdite aux professionnels de la vape depuis la directive tabac.[/caption]   Pour le dire plus simplement, la société Nicorette cherche à utiliser un levier hyper-puissant et légalement inaccessible aux acteurs de la cigarette électronique pour s’attirer une nouvelle clientèle. On remarque ainsi qu’un des premiers effets pernicieux de cette loi est d’ouvrir grand la porte aux laboratoires pharmaceutiques en leur donnant un accès exclusif aux moyens de communication, précisément là où les véritables professionnels de la vape se heurtent à un mutisme forcé. Pour aller plus loin, ce n’est pas la première fois que le site Nicorette tente de ponctionner une partie du trafic internet des usagers de la cigarette électronique. Son site affiche fièrement une page dont le titre est «Les dangers de la cigarette électronique ». Ne vous méprenez pas, dans le langage internet, le titre d’une page web n’est même pas visible pendant votre lecture (il n’est d’ailleurs même pas question de cigarette électronique dans cette page). Le titre s’adresse uniquement au moteur de recherche pour que celui-ci sache quels sont les mots clés auxquels cette page web tente de répondre. Si quelqu’un pensait encore que les laboratoires pharmaceutiques ne souffrent pas d’un cruel manque à gagner à cause du marché de la cigarette électronique, il sera heureux d’apprendre que Nicorette (pour ne citer que lui) essaie désespérément de faire en sorte que Google propose en priorité son site aux usagers du net qui vont rechercher l’expression suivante : « danger cigarette électronique ». Aucun moyen de mesurer précisément dans quelle mesure le marché du vapotage a plombé celui des substituts pharmaceutique, mais des réactions existent effectivement et tendent à montrer que les labos pharmaceutiques ont un intérêt certain à y prendre des parts. Pour aller encore (et toujours) plus loin, nous pouvons aussi constater que Nicorette affiche en bas de cette même page la mention suivante :
 Médicament contenant de la nicotine. Patch, gomme et inhaleur : pas avant 15 ans. 
Les chewing-gums à la nicotine, vous savez les chewing-gums avec des goûts rigolos, ne sont apparemment pas porte d’entrée dans la nicotine pour les jeunes, d’ailleurs dès 15 ans ils peuvent s’y mettre. Idem pour les inhaleurs… attendez, c’est quoi au juste un inhaleur ? Surprise ! C’est une sorte de tube dans lequel on aspire et qui délivre de la nicotine accompagnée d’un petit goût de menthol. Autrement dit, c’est une cigarette électronique mais en moins bien. La loi prend néanmoins le parti de considérer ce fameux inhaleur comme un produit adapté pour les plus de 15 ans (autrement dit : les jeunes).   [caption id="attachment_478" align="aligncenter" width="1024"]L'inhaleur ressemble beaucoup à une cigarette électronique Un des problèmes de fond réside dans le fait que les gouvernements n’ont pas encore réalisé que pour légiférer proprement sur la cigarette électronique, il faut faire la différence entre la question de son utilité (est-ce que c’est une bonne idée d’en vendre) et la question de sa distribution (qui devrait la vendre). Lorsqu’elles sont abordées simultanément, ces deux questions aboutissent à des solutions contradictoires, du moins en apparence.[/caption]   Pourquoi une contradiction aussi grossière ? Tout simplement parce qu’il s’agit d’un produit vendu en pharmacie, et c’est peut-être l'un des messages que l’Union Européenne veut subtilement nous adresser avec cette fameuse directive tabac : « Vous êtes tous malades. Allez-vous faire ... soigner ».   Dérouler le tapis rouge pour l’industrie pharmaceutique en lui attribuant par défaut le monopole de la communication sur les alternatives au tabac. En voilà une idée intéressante et ô combien profitable pour quiconque saura l’utiliser à bon escient. Est-ce qu’il fut question du manque à gagner des laboratoires pharmaceutiques lors de la rédaction des textes de loi ? Nous ne le saurons probablement jamais et la question de l’intentionnalité n’a, à vrai dire, que peu d’importance. Ce qui compte, c’est que nous restions vigilants à ce que ce genre de dérives n’en vienne pas à se généraliser et que l’intérêt commercial ne l’emporte pas sur l’essentiel : que chacun parvienne à trouver une façon simple et confortable pour arrêter de fumer.

Vos avis

Bonjour, merci pour cette précision qui pourra effectivement éviter quelque confusion. \r\n\r\nToutefois j\'ai peur que vous vous mépreniez sur la teneur de cet article. Qu\'on achète, qu\'on enchérisse ou qu\'on troque, la différence est la même : certains sont autorisés à mener des campagnes adwords et d\'autres non. Alors que tous s\'adressent à la même clientèle et proposent la même solution. La question n\'est pas de savoir comment on fait du adword sur la vape, mais qui est en mesure d\'en faire. Ce n\'est donc naturellement pas la liberté du choix des mots clés ou les modalités de positionnement qui sont en cause, mais bien le caractère biaisé de la mise en concurrence des annonceurs. \r\n\r\nA vrai dire, j\'ai d\'abord écrit cet article pour râler, mais je suis flatté que vous y voyez une ébauche de journalisme. Bonne navigation !

Bonsoir,\r\narticle intéressant, mais... la partie sur Adwords, ça ne va pas. J\'utilise ce service depuis des années, pour différentes boutiques.\r\nOn n\'achète pas un mot clé, ou une expression, on fixe un montant maximal que l\'on est prêt à payer pour chaque clic. Les mots ne sont pas à vendre, ils sont placés aux enchères. Celui qui est prêt à payer le plus cher apparaît en première position, le second est second, etc... Donc, il y a rétribution, mise en concurrence des annonceurs, totale liberté du choix des mots clés. Compte tenu de tout cela, l\'exemple \"Nicorette\" perd toute pertinence. Beaucoup de vendeurs online paient pour les noms de leurs concurrents, afin que leurs annonces apparaissent quand ils risquent de perdre des ventes.\r\nPas facile de jouer au journaliste, c\'est un vrai métier, où la plus extrême rigueur doit côtoyer un certain talent.\r\ncdlt\r\nKB

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